Mont Blanc par l'autre côté
15 Juillet 2017


Organisé par : Didier, Bruno

Activité : Alpinisme

Lieu : Pilier Rouge du Brouillard.Voie Bonatti-Oggioni

Description :


Mont Blanc, 4808.73m 16 juillet 2017

Rien de tel qu’un ptit Mt Blanc pour se mettre en jambes.
Après Miage hier, on se sent presque suffisamment accoutumés à l’altitude où nous allons devoir faire des gestes avec un gros sac. Il s’agit de s’engager sans tarder dans la fenêtre météo : 3 jours de hautes pressions, avec un iso zéro au-dessus de 4800, mais un gros coup de froid est prévu ensuite avec une dégringolade du 0 à 2900 dans la nuit du lundi. En cas de retard, le bivouac serait une cata.

Parking du Freney vendredi matin dans le Val Veny. On a étudié les cartes, en se garant à la Visaille on doit gagner 15 minutes pour rejoindre Monzino. Au bout d’une heure au milieu des ravins, on est comme des cons, coincés devant l’impétueux torrent de la Dora, infranchissable. Retour à la case départ. On vient de rajouter deux heures et 300m D+ à la montée à Eccles. Et si on lâchait l’affaire ?

La nouvelle via ferrata de Monzino déroule bien, avec ses marches superfétatoires. Le gardien nous dit beaucoup de choses, que le bivouac d’Eccles est plein de Polonais, qu’on va dormir dehors là-haut à 3852m, ou devoir redescendre, qu’il n’a pas de place pour nous, bref qu’on l’emmerde. On prend sa tarte myrtille et son café, merci gardien, 4 euros c’est vraiment pas cher.

La montée à Eccles est une vraie course en soi. Neige et glace vive sur le glacier tourmenté du Brouillard, hésitations sur l’itinéraire, dièdre rocheux pour atteindre le col de Freney, fil de l’arête devant la Noire de Peuterey, léger coup de mou…Un fer à repasser circule à toute vitesse vers le bas à un demi-mètre de ma face (sans son cordon heureusement, parce que sinon je connectais les pôles par les narines). On aime ou on n’aime pas. En revanche, impossible de rester insensible au prodigieux spectacle de la face italienne du Mt Blanc, un spectacle à couper le souffle et écraser une larme, avec ses piliers rouges et l’arête du Brouillard qui domine, jusqu’au mt Blanc de Courmayeur, vaste terrain de nos aventures. Pour l’instant, la perspective écrase l’immensité. Demain les distances prendront sens. Vers la fin de notre montée à Eccles, on croise un Polonais à la descente qui nous informe que deux places sont vacantes au biv dans le demi-tonneau du haut Gian Carlo Grassi. Super.

Eccles. Le mythe. L’isolement du monde est perceptible dans cet abri précaire accroché là, à 3800, sans rémission. Avec l’engagement, une espèce de solidarité joue à plein avec les deux autres cordées, même si les deux Italiens fument clope sur clope et mangent des choses en boîte pour tromper leur angoisse. La nôtre est évacuée en calembours avec la cordée de Français qui projettent comme eux l’Innominata. On finit tous comme des sardines à l’intérieur du demi-tonneau Grassi vers 20h, pour quelques moments de sommeil, dans le meilleur des cas, volés à la voûte étoilée. Le beau se maintient.

Vers 6 heures du mat, on tire un rappel pour quitter les lieux. L’approche étant facile, on est bientôt à l’attaque, à la base de 400 m de verticale. Altitude 3800. Le dièdre d’attaque est englacé. On se rend vite compte que le 4+ de l’ouverture Bonatti au Pilier Rouge n’est pas de la petite bière et qu’on va en chier. On rattrape le soleil à L3. Ou est-ce lui qui nous récupère ? Malgré nos sacs de forçats emmenés dans ce TD+, ça va mieux. Alors que je suis à la ramasse, Bruno fait merveille. Cent mètres, deux cent mètres. Peu de pitons en place pour confirmer que nous grimpons au bon endroit. Le granite rouge se maîtrise en adhérences, avec des oppos. C’est pas facile avec le poids. Les relais sont parfois difficiles à trouver. On doit en improviser plusieurs. Les mains verrouillent dans les fissures, les pieds surtout poussent tout ce qu’ils peuvent. Une veine de cristal blanc. Bruno se perd. Je prends la tête. Je craque dans un 5, il reprend la tête. On se sert constamment de nos camalots, du 0.5 au 3, et quelquefois des câblés. Deux longueurs en glace au fond du dièdre nous donnent du fil à retordre. Le soleil tourne et l’horloge aussi sans qu’on s’en rende compte. Concentrés, conscients que le temps qui passe est contre nous, on tire sur les protections qu’on pose dans les passages durs. Enfin voici la cheminée de R12, qui signe la fin des hostilités. On sort du pilier vers 15 heures. On n’a pas été trop ridicules.

C’est pas fini.
Deux heure (qu’on n’avait pas prévues) pour atteindre en traversée la racine de la Pointe Amédée. A partir de là, cordes et chaussons dans le sac, une autre course commence.
8 heures pour sortir la voie Bonatti-Oggioni, autant pour sortir au sommet du Mont Blanc. On se joue des piles d’assiette d’Amédée, au début. Ensuite, on connaît cette longue course du Brouillard, l’a déjà fait, il fait beau, peu de vent, les étoiles déjà …Rappel de la brèche. On lorgne un court instant sur les endroits possibles d’un bivouac à l’arrache, mais notre décision ne fait aucun doute, on sortira dans la journée. Des souvenirs de l’itinéraire remontent à la mémoire, rassurants. A d’autres moments, on se sent complètement perdus, fragiles, vulnérables. Certains pas sur du rocher brisé à l’aplomb du grand vide me font peur et vont puiser dans les ressources mentales. Pas question de sortir la corde, elle nous ralentirait. La fatigue se fait sentir. Encore un effort. Encore un, encore un. C’est interminable.
La nuit tombe quand nous sortons enfin des difficultés rocheuses, sur l’arête, peu avant le sommet de l’Innominata. Frontale. Crampons. Les effoorts consentis, l(altitude, les muuscles qui répond pu, l’assoif, sensation d’aller ss but, 4 mille 6, vers ce sommmet en booout de cooourse, si lointaaaain si vaain. Bruno est devant. Le souffle mannque. Vazy rspire !

Minuit trente au sommet-. Good job ! La voûte étoilée livre ses milliards d’étoiles, toutes les branches de la voie lactée ! On est seuls au sommet du continent. La gueule dans le firmament, maman.


Descente par une halte à Vallot, désagréable comme d’hab, puis Gonella, où on s’enfourne dans la panse une pasta della mama, dont l’accueil modeste et généreux fait pièce à Monzino. Glacier du Dôme limite, ses ponts en feuille de cigarette, on saute au-dessus du diable. La cordée de Bâlois énervés avec qui on s’est tiré la bourre dans la voie pendant toute l’ascension nous dépose proprement entre deux séracs. Eux étaient partis de Monzino ! Magie de la jeunesse.
La saison se termine mi-juillet : plus d’eau à Gonella. Tas de cailloux ensuite, de cairn en cairn. La boucle est bouclée vers 23 heures, un orteil en steak pour l’un, une entorse pour l’autre…Hommage à Bonatti.

DR














































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